Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Paul d'Estournelles de Constant, prix Nobel de la Paix 1909.

Estournelles de ConstantL’action de Paul d’Estournelles de Constant, Prix Nobel de la Paix 1909, en tant que promoteur d’une union des États européens puis du règlement pacifique des différends internationaux et de la conciliation internationale, demeure largement méconnue.

 

UN PARCOURS ATYPIQUE.

 

Paul Balluet d’Estournelles de Constant de Rebecque (1852-1924) est le petit-neveu de Benjamin Constant, dont il hérite de l’esprit cosmopolite et de l’inclination pour les Lettres. Admis en 1876 par voie de concours au ministère des Affaires étrangères, il est chargé de mission au Monténégro à l’heure du Congrès de Berlin, secrétaire d’ambassade en Tunisie de 1882 à 1884 pour la mise en place du protectorat, Chargé d’affaires à La Haye puis à Londres.

Depuis cet «observatoire du monde» , il perçoit l’amorce d’un transfert des centres géopolitiques, l’émergence de «pays neufs» face à un vieux continent qui multiplie par sa «mégalomanie coloniale» les sources de conflits et de dépenses improductives, au lieu de s’organiser pour soutenir l’assaut de la concurrence universelle. En 1895, il quitte la «Carrière» pour la scène politique. L’essentiel de son activité parlementaire est consacrée à la promotion du protectorat contre l’annexion en matière coloniale, le règlement pacifique des contentieux avec l’Angleterre et, plus largement, à poser l’union des pays européens comme inéluctable. Sa connaissance des relations internationales lui vaut de représenter la France avec Léon Bourgeois et Louis Renault aux conférences internationales de la paix réunies à La Haye en 1899 et 1907, et d’y oeuvrer à la création d’une Cour permanente d’arbitrage, qui serait morte d’inanition s’il n’avait obtenu en 1902, de Théodore Roosevelt, la première affaire, dite des « fonds pieux de Californie » déférée à la juridiction.

 

UN « UTOPISTE RÉALISTE ».

 

Faute de parvenir à instituer pour les Etats le principe d’une sanction militaire en cas d’agression, la campagne d’«éducation de l’opinion » qu’il entreprend dès 1899 en faveur de l’arbitrage international aspire à élever les peuples au rang de juges de la moralité des chefs d’États. Soucieux de coordonner les « bonnes volontés », il fonde un Comité de défense des intérêts nationaux (1901) destiné à promouvoir la culture française à l’étranger, un Groupe parlementaire d’arbitrage (1903) où se côtoient Jaurès, Caillaux et Briand.

Dans le Comité de la conciliation internationale, qu’il fonde en 1905 avec le partenariat d’Andrew Carnegie, il parvient à rallier à sa cause Monet, Rodin, Paul et Victor Margueritte, ainsi qu’une multitude d’artistes, d’industriels, d’associations, français et européens censés donner l’exemple aux peuples en matière d’émulation et de solidarité inter européennes. En 1910, il prend la responsabilité du premier mandat de président du centre européen de la fondation Carnegie endowment for international peace et parraine à ce titre, en 1913, la mission Carnegie dans les Balkans.

 

L’ÉBAUCHE D’UNE UNION EUROPÉENNE.

 

Les préceptes de d’Estournelles en matière d’entente européenne résultent d’une prise de conscience précoce d’un possible déclin du vieux continent. Il ne livrera cependant jamais une réflexion structurelle. Selon lui, le débat n’en est pas là : avant d’examiner les conditions d’une association des patries européennes, il s’agit déjà d’emporter la décision politique de la sceller.

Européiste, d’Estournelles de Constant se trouve d’emblée confronté à une multitude de questions fondamentales et récurrentes: où s’arrête l’« Europe » ? Quels liens unissent les parties occidentale, centrale et orientale du vieux continent ? Quels critères privilégier dans la perspective d’une union européenne: le régime politique, la puissance, l’existence de liens culturels et linguistique, l’Histoire ? Faut-il promouvoir une « union », une «fédération », une « ligue » ?

La base de son argumentation européenne est de nature économique. Les échanges culturels, scolaires et universitaires, les rencontres interparlementaires, préparent les esprits à une reformulation des notions d’intérêt national, de souveraineté, de territoire et de frontière. Surtout, ils permettent de nuancer la représentation que chacun se fait de l’« étranger », de réduire les préjugés, pour mettre en valeur la notion d’identité européenne, en recourant au spectre de la menace économique « extra-européenne ».

La campagne d’ «éducation » de l’opinion qu’il entreprend dès 1899 privilégie les femmes, en tant qu’éducatrices des futurs citoyens, et les enfants. Faute de parvenir à établir pour les États le principe d’une sanction autre que morale contre d’éventuelles vues hégémoniques, il s’agit pour lui d’ériger l’opinion en juge de la moralité des dirigeants. Les élites, des gens de renom recrutés dans les sphères de la politique, sans distinction d’appartenance, de la pensée et de l’art, auxquels la population doit être tentée de s’identifier, sont invités à se mobiliser et à s’associer.

 

EUROPÉISME ET INTERNATIONALISME : CONTRADICTION OU COMPLÉMENTARITÉ ?


Au gré des voyages qu’il entreprend pour défendre les conclusions de la Conférence de la paix réunie à La Haye en 1899, Paul d’Estournelles de Constant découvre qu’il existe aussi des « bonnes volontés » dans ces pays dont il craint les aspirations hégémoniques. Dès lors, sa perception d’une union européenne, d’abord motivée par un réflexe de défense face à l’avènement de nouveaux acteurs sur le devant de la scène internationale et à l’amorce d’un transfert des centres géopolitiques de la planète, évolue. L’accueil chaleureux réservé outre-Atlantique, par le président Roosevelt lui-même, à son action, l’amène à rêver d’une « entente cordiale » entre l’Europe et les États-Unis. Dès 1902 et son premier voyage sur le sol américain, la montée en puissance des États-Unis n’est plus présentée comme un mal mais comme un remède.

Dorénavant, l’union européenne telle que d’Estournelles de Constant la désire, ne doit pas être comprise comme un but mais comme une étape. Il s’agit désormais de créer sur le sol européen un interlocuteur de la taille des États-Unis d’Amérique, susceptible de sceller avec eux l’entente capable de résister à la montée en puissance de nations extra-européennes.

 

LA CODIFICATION DES RELATIONS INTERNATIONALES.

 

Sa participation active à l’émergence d’une régulation des conflits entre États, dans le cadre des Conférences de La Haye de 1899 et 1907, l’incite à intégrer ses réflexions européennes dans une perspective plus large. L’inspiration européenne du droit international et la domination du vieux continent dans les congrès diplomatiques internationaux atténuent a priori la contradiction des deux idéaux: oeuvrer pour le progrès d’une codification globale des relations internationales, c’est oeuvrer pour l’entente des États européens. Les prémices d’une « société des nations » organisée, perceptibles dans la conclusion d’accords (administratifs, économiques, culturels, techniques ou juridiques), plutôt que d’entamer l’indépendance et la souveraineté des États, les délimitent.

L’absolue égalité de voix des États convoqués fut le premier choix des conférences de Droit international. Il a permis aux Conférences de La Haye de 1899 et de 1907 de se tenir mais beaucoup considèrent qu’il offre l’apparence du provisoire. Il s’agit d’abord de concilier le fait et le débat philosophique en établissant la limite jusqu’à laquelle identifier la nation à un individu, à supposer, au préalable, que les dirigeants des États convoqués puisent leur légitimité dans une aspiration nationale. La position de Léon Bourgeois et de d’Estournelles de Constant, qui assimile l’État à un citoyen d’une société démocratique, et plus largement à un individu doué de conscience et apte à respecter un code de civilités, place au second plan les différences de taille et de puissance des pays ainsi que la diversité de leurs caractéristiques et de leurs intérêts. Cette vision qui s’impose à La Haye constitue le terreau sur lequel la SDN s’épanouira, mais en révèle d’ores et déjà les limites, sur la question de la sanction encourue par un État qui contreviendrait aux règles de la vie internationale.

 

BILAN : L’ÉCHEC D’UNE COMMUNICATION DES ÉLITES VERS LE « PEUPLE ».

 

L’action de d’Estournelles de Constant a ouvert des perspectives aux futurs apôtres de la paix et fondateurs de l’Europe. Ainsi, les moyens mis en oeuvre par Coudenhove-Kalergi relèvent sensiblement d’une semblable volonté de façonner une opinion publique critique grâce à des élites dynamiques.

D’Estournelles de Constant a surestimé l’attachement des élites à défendre massivement ses vues en se démarquant de leurs spécificités nationales. Il a surtout sous-estimé la difficulté de sensibiliser l’opinion aux thèmes défendus par cette minorité agissante qu’il souhaitait constituer durablement. Structurellement apathiques, les foules se sont avérées réfractaires à la mobilisation vis-à-vis de préoccupations perçues comme lointaines ou compliquées (l’union des Etats européens pour résister à la mondialisation des échanges, puis la promotion de l’arbitrage international).

 

L-Union-novembre-2011.png

  Source: L'Union Champagne Ardenne Picardie 28/11/2011

Laurent Barcelo